Les revendications des précaires de l’ESR concernent tout le monde

Quand on imagine une personne qui fait une thèse ou qui est en début de carrière à l’université, des images sympathiques nous viennent en tête – celles d’une vie de bohème et de relative insouciance à fréquenter cafés et cinémas, à « refaire le monde » le nez toujours plongé dans un livre… Mais la réalité est malheureusement très éloignée de cette charmante image d’Épinal. Depuis plusieurs années, les précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) tentent d’alerter la société sur leurs conditions de travail, et cet effort s’est intensifié depuis l’été 2019 et le début de l’année universitaire en cours avec une série d’assemblées générales et de communiqués, menant à la journée d’aujourd’hui. Qui que nous soyons, précaires ou titulaires, membres du personnel ou étudiant.e.s, personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques ou enseignant.e.s, les revendications des précaires de l’ESR nous concernent directement. Mettre en lumière leur importance dans le fonctionnement de nos établissements et la pertinence de leurs revendications, ce n’est pas défendre un petit groupe et ses intérêts mais affirmer toujours et encore la nécessité d’un service public d’enseignement supérieur de qualité au service des étudiant.e.s et de l’intelligence collective.

Sans les personnels non titulaires de l’ESR, les universités et les laboratoires ne pourraient tout simplement pas fonctionner. L’ESR est de loin le secteur de la fonction publique qui emploie le plus de vacataires (43,6% de tous les vacataires de la fonction publique en 2014). C’est notamment le cas des enseignant.e.s : pendant la décennie 1999-2009, tandis que se succédaient les réformes néolibérales (réforme Allègre, LMD, LRU, mise en place d’une politique de la recherche par appel à projets), la part des enseignants non permanents dans les enseignements augmentait chaque année de 3,6% en moyenne. Aujourd’hui, 23% des enseignants du supérieur sont des enseignants non permanents (doctorants contractuels, ATER, enseignants associés, enseignants invités, lecteurs ou maîtres de langues, contractuels sur emplois du 2nd degré, contractuels « LRU ») et c’est sans même compter les vacataires (chargés d’enseignement et agents temporaires vacataires) qui délivrent des heures de cours tout en occupant impérativement une activité principale à côté. Sur l’ensemble des personnels de l’enseignement supérieur, 40% sont non titulaires. De ces collègues, on attend qu’ils et elles assurent des tâches aussi exigeantes et variées que les autres (enseignements, corrections, réunions, recherche…), mais dans des conditions particulièrement précaires.

De quelle précarité parle-t-on ici ? C’est un savant mélange de précarité matérielle et de manque de considération professionnelle dont les conséquences sont désastreuses pour des personnes qui entrent généralement dans les métiers de l’ESR. Nos collègues sont régulièrement forcés d’accepter des choses qui ne seraient jamais tolérées dans le secteur privé : des processus de recrutement opaques, des contrats de travail aux contours pour le moins flous (par exemple des contrats d’un mois pour six mois de travail effectif), lesquels contrats entraînent ensuite des  situations délicates avec Pôle emploi – jusqu’au risque de radiation dans certains cas. Les témoignages sont nombreux de contrats établis après la fin des cours, ou encore d’heures assurées mais non inscrites sur le contrat et jamais payées. Sans oublier des rémunérations insuffisantes et des paiements bien trop tardifs, avec de nombreux chargés de cours payés six mois après leurs cours et en une fois.

Si les étudiant.e.s qui suivent les cours de ces brillants produits de la « méritocratie » scolaire se doutaient qu’ils et elles vivent parfois sous le seuil de pauvreté, passent une bonne partie de leur temps à faire des dossiers pour trouver un poste l’année suivante, et doivent souvent compter sur la solidarité familiale pour payer leur loyer et leurs frais de transport… En outre, les collègues non titulaires ne se sentent pas intégrés à l’équipe enseignante, n’ont le plus souvent pas de bureau, et se plaignent de nombreux signes qui leurs donnent le sentiment d’être des collègues de seconde zone (pas prévenus des réunions, de fermetures administratives, pas d’identifiants et problèmes d’accès à la plateforme numérique, on leur donne les cours les moins intéressants). On leur promet des postes qui ne viennent jamais, entraînant des phénomènes d’autocensure et une obligation tacite de soumission à ces conditions, sur le mode du « tu ne te rends pas compte de ta chance ! ». Ces conditions de vie professionnelle ont de nombreuses conséquences délétères sur la vie privée, soumise à des obligations de déménagements fréquents et à des séquelles psychiques potentiellement graves (burn out, dépression…).

Dans la droite lignée des évolutions qui ont entraîné cette situation, les projets de loi de réforme des retraites et de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) nous promettent une généralisation de cette précarité à presque tou.te.s. La mise en place dans l’ESR d’un dispositif dit de tenure track inspiré du modèle américain retardera encore l’accès déjà tardif (34 ans en moyenne) à un poste pérenne. Le calcul des retraites sur l’ensemble de la carrière aura des conséquences catastrophiques, tout de suite, pour tou.te.s les précaires, et à terme pour la majorité des personnels de l’ESR qui ne seront plus recrutés sur postes fixes à l’exception de quelques professeurs « prestigieux » déjà avancés dans leurs carrières. Le mot d’ordre de ces réformes, c’est celui de la compétition de chacun.e contre tout le monde, et ce jusque dans des domaines censément désintéressés comme la recherche. Le gouvernement et ses fonctionnaires dévoués ne cherchent même plus à s’en cacher, tel le PDG du CNRS Antoine Petit qui déclarait le 26 novembre dans les pages des Échos qu’« Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire — oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne ».

Sans les précaires de l’ESR, l’université ne peut pas assurer sa mission de service public, ni sur le plan pédagogique, ni sur le plan scientifique ; rendre visible leur travail et soutenir leurs revendications, c’est défendre une université de qualité, qui continue à attirer et récompenser les esprits brillants et créatifs et à offrir une formation de qualité au plus grand nombre. Il est de l’intérêt de toutes les personnes ayant à cœur les missions de l’ESR de cesser de faire comme s’il n’y avait pas de problème, et de comprendre que les luttes des précaires sont (déjà) les nôtres.

Planning de la semaine du 10/17 février

Une nouvelle semaine de mobilisation commence lundi. Comme toutes les précédentes, elle est importante, mais un enjeu nouveau s’ajoute : continuer à mobiliser collègues et étudiant-es avant les vacances, qui commencent vendredi dans plusieurs départements !

Plusieurs informations /actions importantes pour cette semaine :

1) Organisation de la Journée d’action contre la précarité à l’université, mardi 11 février

 

Mardi 11 février sera une journée de visibilisation et d’actions contre la précarité à l’université, suite à l’assemblée des précaires de l’ESR du 1er février. L’idée : se rendre visible sur chaque campus, pour montrer que l’université tourne massivement grâce à des précaires !

– Beaucoup d’outils militants sont disponibles pour organiser cette journée : https://universiteouverte.org/2020/02/07/action-de-visibilisation-de-la-precarite-mardi-11-fevrier-2020/

– A l’université Paris Diderot, des collègues non titulaires feront des tours d’amphis et de salles de cours ;  Vous pouvez préciser quels sont les cours dans vos UFR qui seront donnés par des vacataires mardi 11 et les salles où ces cours auront lieu -> à envoyer à caterina.bandini@ehess.fr

– On organisera également un stand contre la précarité, avec affiches, tracts, etc. Si vous souhaitez organiser la même chose dans les différents bâtiments -> contact : diderotpournosretraites@gmail.com

– Ensuite, une action importante est prévue mardi à 16h à Hotel de ville, pour le personnel précaire et les étudiant-es. Venez nombreux et nombreuses et ramenez des bouteilles d’eau (1L ou même 2l !) 😉 ! -> https://paris.demosphere.net/rv/78440

>> Pour participer à l’organisation de cette journée : rendez-vous lundi à midi dans le hall des Grands Moulins.

2) Autres demandes et propositions

Les étudiant-e-s souhaiteraient que les enseignants signalent les créneaux et horaires où il est possible d’intervenir auprès des autres étudiant-e-s, notamment dans les UFR de sciences -> à envoyer à remi.verdeil@gmail.com

3) Rendez-vous de la semaine

Lundi : journée organisation

Réunion des groupes de travail décidés mercredi dernier (voir compte-rendu en pièce jointe)

– Lundi 9h : anti-répression

– Lundi 10h30 : communication interne / externe + groupe interfacs / interpro

– Lundi 14h : groupe actions

– Lundi 17h : organisation de l’université populaire -> https://www.facebook.com/univpopdiderot/

+

– Lundi 11h-13h : heure d’information syndicale des personnels Biatss, en salle 125C (Halle aux Farines)

– Lundi 12h : réunion de préparation de la journée contre la précarité (Hall des gds moulins)

Mardi : journée précarité

– Mardi à 12h : AG étudiante !

Mardi 16h : action contre la précarité dans l’ESR à Hôtel de ville

Mercredi, grosse journée Université populaire !

(Toutes les infos sur la page Facebook /univpopdiderot)

– Matin à 9h : Projection du film “Je ne suis pas féministe mais…”

– Matin à 10h30 : Les enjeux d’une recherche située/engagée dans l’université actuelle. Table ronde et discussion avec des chercheuses littéraires autour du féminisme, de la pensée située et de la précarité.

– 14H : Intermittence en danger: table ronde et discussion ? Amphi 1A -> https://www.facebook.com/events/790131384730957/

Jeudi à 12h : Assemblée Générale personnels et étudiant-e-s de Paris Diderot (lieu à confirmer)

 

La guirlande de la précarité, mercredi 5 février: